Clôturant la semaine des croisades de la famille présidentielle organisées du 26 au 30 décembre, à Ngozi, commune Mwumba, Denise Bucumi-Nkurunziza , la première dame du Burundi, a fait une prière-confession dans laquelle elle a dit tout haut tout ce que les Burundais pensent tout bas. Intahe vous donne l’intégralité de la prière (traduite du kirundi) et un expert international en analyse des discours essaie de décortiquer la prière.
Par Gilbert Niyonkuru
On rappelle d’abord que la première dame du Burundi est une révérende-pasteure et que chaque fin d’année, la famille présidentielle organise des croisades pour «rendre grâce au Seigneur », dans lesquelles tous les hauts dignitaires doivent prendre part.
Remerciant le Seigneur le 30 décembre 2018, Denise Bucumi-Nkurunziza a prié en ces mots:
Dieu, tu ne tolères pas les péchés et les abominations. Dans notre pays, Burundi, nous avons commis des péchés contre toi. Nous avons reçu plusieurs conseils, nous avons été souvent avisés, mais nous avons fait la sourde oreille. Seigneur, tu nous as préparés ce beau jour pour que nous entrions dans le nouvel an étant délivrés et purifiés.
Seigneur tout puissant, nous nous prosternons, devant toi puissants et humbles pour confesser tous nos péchés. Certes, plusieurs personnes sont mortes au Burundi. Tuées par leurs amis proches à cause de la jalousie et de la haine. Dieu du ciel, à cause de différents règlements de comptes, le sang a été versé.
Ce matin que j’ai lu un passage qui dit que le sang versé sera vengé par l’effusion du sang et que celui qui verse le sang d’autrui verra le sien aussi versé. J’ai eu peur de cette parole. Tu as repris pour la deuxième fois : celui qui verse le sang d’autrui, le sien sera aussi versé, tu m’as montré des noms des gens, j’ai été ébahie, je me suis retrouvée en train d’écrire ces noms, en les reprenant un à un.
Le sang versé au Burundi…
Dieu éternel, nombreux sont ceux qui ont versé du sang. Au nom de Jésus, nous nous agenouillons devant toi, en demandant pardon. Il y a ceux qui ont volé, il y en a qui se sont enrichis illicitement et qui continuent de piller. Au nom de Jésus, il y en a qui dirigent par la force et la dictature. Ceux qui privent les autres de leurs droits, il y en a. Ceux qui font l’adultère, il y en a plein. Au nom de Jésus, ceux qui travaillent avec la rancœur, la jalousie et la haine, ceux qui se vengent, ils sont nombreux, nous nous repentons pour l’orgueil dans les cœurs.
Dieu du ciel, nous avons bénéficié de ta grâce, différents postes nous ont été confiés. Mais quand on y arrive, on se montre plus ingrats, comme si on s’y est mis soi-même dans cette position, même celui sur lequel Dieu est passé, on arrive à le dénigrer, à le considérer comme un beau pour rien. Tu es témoin de tout cela ces jours-ci, Seigneur éternel. Au nom de Jésus, des gens se disent des forts et puissants et s’en prennent aux faibles.
Dieu du ciel, ces jours-ci, ceux qui ont beaucoup de richesses continuent à en accumuler davantage. Ils essaient même de spolier de ce qui appartient aux faibles et des pauvres. Dieu du ciel, nous avons péché contre toi, nous nous prosternons devant toi, les puissants et les faibles sont à genoux aujourd’hui pour demander pardon. Les serviteurs de Dieu, nous nous agenouillons pour implorer ton pardon, pour n’avoir pas accompli correctement ce dont nous sommes chargés, pour avoir menti, au nom de Jésus, pour nous être ingérés dans des affaires qui ne nous concernent pas.
Au nom de Jésus, nous nous prosternons devant toi, nous demandons pardon, nous sommes ici au nom des autres Burundais qui ne sont pas ici. Roi des rois. Seigneur, c’est toi qui as dit que si nous nous repentons de nos péchés, tu nous pardonneras, tu pardonneras notre pays et même en cas du tarissement de la pluie, elle tombera. Seigneur, si nous nous repentons, aucun doute, la pluie de la bénédiction tombera dans notre pays le Burundi.
De la richesse du sol burundais…
Au nom de Jésus Christ, les minerais, ces richesses que tu nous as données, c’est le moment que leur exploitation se fasse dans la transparence, pour que chaque Burundais en tire profit, que ce ne soit pas certains qui en profitent, que ce ne soit pas certains groupes, mais que tout Burundais en bénéficie. Tu nous as donnés un sous-sol riche, il est temps que l’exploitation soit faite dans la transparence, il est temps qu’il nous enrichisse tous. C’est le moment. Peut-être que ça a été toujours une affaire d’un groupe et géré en catimini suite à notre faiblesse, à nos péchés. Pardonnes-nous, Seigneur, que nos minerais soient gérées et exploitées dans la transparence, et que nous en partageons tous les dividendes.
Le carburant que nous avons manqué, c’est possible d’en avoir dans ce pays pour notre bien.
J’appelle le sang de Jésus Christ pour nous purifier de nos péchés et nous rendre gens justes. Que son pardon soit sur nous.
«Le prêche n’a d’autre visée qu’électoraliste »
Selon un analyste international des discours et professeur d’université, dans un contexte de privation de liberté d’expression, cette pasteure qui visiblement est convaincue de l’effectivité de sa mission, sent sur ses épaules la lourdeur des crimes commis sous le pouvoir incarné par les siens (son mari, son parti, son ethnie).
L’expert en analyse des discours rappelle que l’année 2019 est une année qui précède la période électorale au Burundi. Si on se base sur la périodisation de la période électorale par Anne Marie Gingras, l’année 2019 sera une année de pré-campagne électorale. Denise Bucumi pose 4 actes de langage dans son discours, discours à visée électoraliste:
D’abord, la Confession des péchés (elle avoue plusieurs des crimes commis au Burundi). Elle adopte la position de celui qui a tort, qui a fait du mal et qui avoue : « nous voilà à genoux, nous nous agenouillons devant toi ».
Par le « nous », elle prend la partie de ceux qui ont commis ces crimes, elle exprime la solidarité avec les criminels et demande pardon pour eux.
La société burundaise étant chrétienne dans sa presque totalité, éprouve de la sympathie envers quelqu’un qui demande pardon. Bucumi est donc sûre et certaine que les Burundais vont être sensibles à sa prière.
Les péchés pour lesquels elle confesse : «Faire la sourde oreille aux différents conseils nous prodigués, Ce qui a bloqué beaucoup de bénédiction qui étaient destinées aux Burundais, nous avons commis beaucoup de crimes » et en énumère la liste : Les crimes de sang : les gens ont été tués par leurs amis, vraiment beaucoup de sang a été versé. Le pillage des biens publics, les injustices, la haine, des règlements de compte tous azimuts, la mégalomanie de ceux qui ont été nommés aux postes de responsabilités, l’orgueil des riches, l’adultère, les insatiables qui continuent à spolier les gens, surtout à spolier les pauvres…
Demande de pardon au nom du pouvoir
«Nous nous agenouillons devant toi, accordez-nous pardon, que ton pardon nous soit accordé ! Là où on a failli à nos devoirs, là où on a menti, quand on s’est immiscé dans les affaires qui ne nous regardent pas, tu es le plus puissant, même là où la pluie tarit, il peut pleuvoir », par-là, la première dame vise à encourager les Burundais en général et les militants en particulier, à leur faire encore confiance, analyse-t-on.
Elle veut également susciter l’espoir chez les Burundais pour un avenir meilleur, quand elle dit :
«Tu nous as donné beaucoup de richesses, tu nous avais donné beaucoup de bénédictions : les minerais, les autres richesses. C’est le moment de mettre de la lumière là-dedans. Que nos minerais soient profitables à tous. Nous pouvons tous être riches. Il est possible que le carburant soit disponible dans notre pays et que nous vivions tous aisément. Dieu puissant, tu es capable de casser les cœurs durs. Tu es la source de paix, tu es le plus puissant. Je te remercie pour ce que tu vas accomplir pour nous. C’est maintenant que ta volonté doit s’accomplir pour nous… »
L’expert démontre que dans sa prière, la première dame du Burundi réalise la gravité de ces crimes et son impact sur l’avenir électoral de son camp et suscite la crainte afin de prévenir d’éventuels criminels en prédisant le châtiment à ceux qui ont versé du sang. Par-là elle espère obtenir la sympathie des victimes, selon l’expert.
Afin d’affronter l’année pré-électorale (2019) avec plus d’assurance, elle prépare le terrain en confessant, en demandant pardon, en promettant un changement, en promettant le châtiment aux mauvais serviteurs, en promettant un avenir meilleur, bref, elle demande au public électeur de se réarmer de patience.