Dans la nuit du 13–14 mai 2015, les radios indépendantes au Burundi ont été réduites au silence à coup de canons, de roquettes et de grenades. En conséquence, plusieurs dizaines de journalistes ont fui le pays. Aujourd’hui, trois ans après, que reste-t-il de la liberté d’expression et de presse au Burundi ? Décryptage.
Par Landry Niyonzima
La crise politique dans laquelle le Burundi est plongé depuis le mois d’avril 2015, fait que l’exercice de la liberté de presse et d’expression soit en danger dans ce pays de plus ou moins 11 millions d’habitants.
Tout commence en avril 2015, lorsque le président Pierre Nkurunziza se représente pour un 3ème mandat anticonstitutionnel et illégitime. Le mouvement « Halte au 3ème mandat » est enclenché. La population, les organisations de la société civile, les partis politiques de l’opposition descendent dans les rues pour dire non, à la violation de la constitution et de l’accord d’Arusha (2003) garant de la stabilité politique et sécuritaire au Burundi.
Les journalistes sont présents, ils font tout ce qu’ils peuvent pour informer la population. Au même moment, la Radio Publique Africaine (RPA), station de radio indépendante (la plus écoutée au Burundi) qui venait de passer plus de 3 semaines fermée par le gouvernement venait de révéler de nouvelles accusations sur l’assassinat des 3 sœurs italiennes à Kamenge . Une série de reportages sur ce triple assassinat a d’ailleurs valu plusieurs jours d’incarcération à Bob Rugurika directeur de la RPA, à Muramvya.
Du côté de la société civile, les intimidations avaient fait place aux emprisonnements arbitraires.
Par la suite, des journalistes et des opposants politiques ont été arrêtés. Tout ce cocktail préparé par le pouvoir de Bujumbura augurait une nouvelle ère dans laquelle la population serait privée de l’information en muselant les voix des sans voix.
Les journalistes dans la ligne de mire…
Le summum fut atteint quand les médias indépendants furent détruits dans la nuit du 13–14 mai 2015, après le putsch avorté contre Pierre Nkurunziza. Cette nuit fût longue. Vers 18h le siège de Radiotélévision Rema FM, proche du pouvoir, prit feu. Il venait d’être saccagé par des mutins, selon un des journalistes de cette station. Quelques heures plus tard, les loyalistes mènent l’assaut sur les locaux des médias jugés à tort ou à raison d’avoir tendu le micro aux putschistes et relayé leur message. La RPA (Radio Publique Africaine), la Radiotélévision Renaissance sont incendiées. Bonesha FM, Isanganiro furent détruites à coup de canon.
S’il y a aujourd’hui un métier difficile à exercer au Burundi c’est certainement le journalisme. Hormis la censure par le CNC (Conseil National de Communication, l’organe régulateur des médias), les journalistes font face aux menaces, à des intimidations, des arrestations, voire des disparitions (ici je souligne le cas de Jean Bigirimana du journal Iwacu). Les journalistes restés au pays ont désormais deux options : soit se taire et être le griot du pouvoir soit s’exiler.
L’exil des journalistes et mise en place des nouveaux médias
Dans le désir de toujours tenir la population informée, les journalistes qui ont fui n’ont pas voulu se taire pendant que la machine à broyer de Nkurunziza était en marche. Malgré les conditions difficiles (de vie et de travail), les journalistes en exil se sont regroupés et ont mis en place des radios (Inzamba et Humura) qui émettent en ligne.
Inzamba, Humura et la TeleRenaissance, les petites fenêtres sur le Burundi, produisent des journaux et des émissions qui sont également partagés sur les réseaux sociaux et/ou dans les groupes whatsapp.
Ce qui permet à tout burundais même celui de l’intérieur du pays de pouvoir suivre les informations que la radio nationale (devenue l’instrument de propagande du parti au pouvoir) ne peux pas donner.
Dans un Burundi où la tradition orale occupe toujours une place de choix, la radio occupe une place prépondérante dans la société. Après la destruction des medias classiques, c’est maintenant le smartphone qui a révolutionné la consommation de l’information via les réseaux sociaux (facebook, twitter, snapchat, Instagram…) et des applications telles que whatsapp, viber, telegram…
Alors que l’utilisation de l’internet était de 1,8% des Burundais en 2013 (selon l’enquête sur les conditions de vie et de ménages de 2013 -ECVMB), l’enquête démographique et de santé /EDS III 2016–2017 menée par l’ISTEEBU (Institut de Statistiques et d’Études Économiques du Burundi) montre que le pourcentage est de 9,1.
Parmi les 9,1% usagers de l’internet, 4,5% l’utilise de manière régulière, 2,2 % au moins une fois par semaine, tandis que 2,4% l’utilise moins d’une fois par semaine.
Selon la même enquête au Burundi, 47 % de ménages possèdent un téléphone portable (enquête démographique et de santé /EDS III 2016–2017).
Il faudra aussi souligner la part de SOS media Burundi, un media social qui publie les informations en continue sur tout le territoire, totalisant plus de 49 mille followers sur facebook et plus de 33 mille sur twitter.
De la Réouverture des médias et de la nouvelle loi sur la presse…
Si certaines radios ont pu rouvrir (Rema FM et Isanganiro) après leur destruction, aujourd’hui la liberté d’expression et de presse est bannie. Même émettre une opinion contraire de celle des autorités est vue comme une opposition. Pour ces deux médias ci-haut cités, il a fallu souscrire à un acte d’engagement préconçu par le CNC.
La nouvelle loi sur la presse est encore plus liberticide selon les professionnels des médias. Promulguée le 14 septembre 2018, la nouvelle loi sur la presse est tombée comme un coup de massue sur le monde médiatique. Le CNC a toujours prétendu être du côté du respect de la loi et s’est toujours déclaré garant de la liberté de la presse. Sauf qu’il y a anguille sous la roche. Au lieu d’être un organe indépendant d’encadrement et d’échange entre les professionnels des médias, le CNC est devenu une sorte de tribunal où sont jugés les médias «dérangeants ».
Des mises en garde répétitives ont renforcé l’autocensure suivies de la fermeture des médias que le régime de Bujumbura accuse d’être ennemis de la Nation. La rubrique des commentaires du site Iwacu est fermée, pendant 6 mois, la BBC et la radio Voix d’Amérique VOA ont été interdits d’émettre sur le territoire national. Aujourd’hui on se fait arrêter à cause d’un simple commentaire dans un groupe WhatsApp. Jean Claude Niyongere, médecin de Karuzi , ne dira pas le contraire. Les porte-paroles des institutions étatiques ne s’empêchent même pas de bloquer les followers «gênants » sur twitter.
Jusque-là, le pays qui était exemplaire en matière de liberté de la presse et d’expression dans la sous-région, sombre dans la barbarie, et le silence s’abat sur le Burundi. Plusieurs dizaines de journalistes ont pris le chemin de l’exil.
Parmi les médias indépendants qui ont continué d’informer l’opinion nationale et internationale, il faut citer le journal Iwacu. Toutefois, le responsable de ce journal lui-aussi sera poursuivi par la justice burundaise, et regagna son second pays, la Belgique.