A la tête d’un pouvoir accusé de pires exactions de crimes contre l’humanité, dans le collimateur de la CPI, le président burundais a sorti des tiroirs de la justice, le dossier concernant l’assassinat du Président Melchior Ndadaye (Hutu) assassiné en octobre 1993. Les mandats d’arrêt pleuvent contre plusieurs personnalités. Pour Léonidas Hatungimana, un ancien compagnon d’armes du président burundais, dont il a été même le porte-parole, il s’agit d’une stratégie bien pensée pour diversifier et élargir le nombre de personnalités accusées de crimes avec l’objectif de faire diversion et faire relâcher la pression qu’il subit.
Par Gilbert Niyonkuru
On ne le présente plus. Léonidas Hatungimana est l’homme qui connaît bien Pierre Nkurunziza, son ancien frère d’armes. Ils étaient ensemble dans la rébellion menée par le CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie).
En 2005, le CNDD-FDD qui est devenu un parti politique, remporte les élections et installe à la tête du pays, Pierre Nkurunziza, un ancien professeur de sport. Hatungimana est un proche de Pierre Nkurunziza, il appartient au cercle des anciens maquisards qui ont gravi les échelons. Il devient le porte-parole du président, sous le grade de colonel.
En avril-mai 2015, des manifestations menées par la société civile et l’opposition éclatent pour contester le 3ème mandat du président Nkurunziza. La répression est féroce. Au sein du parti présidentiel, une fronde va naître. Un coup d’état mené par des anciens camarades de la rébellion va échouer. Cette fois-ci pour mater les frondeurs une chasse à l’homme commence. Léonidas Hatungimana, et d’autres « frondeurs » opposés au troisième mandat anticonstitutionnel et illégal de Nkurunziza, va prendre le chemin de l’exil.
Sur le dossier Ndadaye…
L’ancien porte-parole du président Nkurunziza dit qu’il n’est pas étonné par cette ouverture du dossier de l’assassinat de Melchior Ndadaye. «Nkurunziza surfe sur ce dossier pour des intérêts et calculs politiques », déclare-t-il avant de rappeler : « Il ne faut pas oublier que l’accord d’Arusha de paix signé à Arusha sous l’égide de Nelson Mandela prévoyait la mise en place, par le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies, d’une commission judiciaire d’enquête internationale sur le génocide , les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité qui auraient été commis au Burundi depuis l’année 1962 , bref, depuis l’indépendance jusqu’à la signature de l’Accord d’Arusha en 2000. »
Selon les « pères » de l’Accord de paix d’Arusha, cette commission devait enquêter et établir les faits couvrant cette période, mais aussi les qualifier, établir les responsabilités. Elle devait ensuite soumettre le rapport auprès des Nations Unies. S’il était prouvé qu’il y a eu un génocide, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, le gouvernement du Burundi devrait demander l’établissement par le Conseil de Sécurité de l’ONU d’un Tribunal pénal international chargé de juger et punir les coupables. Aucun de ces mécanismes n’a été mis en place.
L’ancien colonel, aujourd’hui réfugié en Europe rappelle qu’il était prévu aussi une Commission Vérité Réconciliation (CVR) qui aurait la mission d’enquêter, de clarifier l’histoire, mais aussi d’arbitrer et de trouver les mécanismes de réconcilier le peuple burundais. « Il y avait même la probabilité que le parlement vote une loi établissant une amnistie… ».
Il estime que Pierre Nkurunziza rouvre ce dossier à des fins uniquement électoralistes.
Pour une petite histoire, après l’assassinat du président hutu Melchior Ndadaye et de plusieurs proches collaborateurs il y a eu deux camps, tous coupables de graves crimes. D’une part, les membres des forces de sécurité, surtout l’armée qualifiée à l’époque de « mono ethnique tutsi », mais aussi des jeunes Tutsis opérant dans des sortes de gangs dénommés « sans échecs » et autres « sans défaites ».
D’autre part, des Hutu qui ceux sont rués et vengés sur des Tutsi, surtout à l’intérieur où il y a eu de nombreux carnages.
Selon Hatungimana, « Nkurunziza veut donner un avertissement à toute personne qui aurait l’intention de s’opposer à sa candidature en 2020. Tout opposant sera traqué par la justice dans le cadre de ce dossier, opportunément rouvert aujourd’hui. »
L’effet domino…
Pour Hatungimana, c’est une stratégie bien pensée pour créer la diversion. « Il veut que les crimes actuels et son illégitimité au pouvoir passent à l’oubli. N’oubliez pas aussi que le président Nkurunziza est pointé du doigt dans le rapport actuel de la Commission d’enquête internationale de l’ONU sur le Burundi, surtout dans le rôle qu’il peut avoir joué dans les crimes contre l’humanité commis au Burundi depuis 2015. »
Il explique son analyse : le fait que Nkurunziza accuse des personnalités bien connues, comme le Pierre Buyoya (l’ancien président aujourd’hui très respecté au niveau de la communauté internationale et de l’Union Africaine) n’est pas fortuit. « Il s’agit d’une stratégie qui vise aussi les Hutu coupables de crimes après l’assassinat du président Ndadaye, en octobre 1993 ».
Mieux, à travers une Commission Vérité et Réconciliation (CVR) qui est totalement acquise, et à qui il a demandé de remonter depuis la période coloniale pour démontrer le « mauvais rôle » joué par certains pays dans les crimes commis au Burundi.
Cela fait du monde et c’est très bien ainsi. Selon M. Hatungimana, l’idée de Nkurunziza, c’est d’élargir et de diversifier les personnalités coupables de crimes et, du coup faire relâcher la pression et les regards concentrés sur lui. « Son espoir est que le dossier de la Cour Pénale Internationale soit suspendu ».
Interrogé sur les mandats d’arrêt internationaux émis par Bujumbura, il est dubitatif. « Quand je lis le communiqué de l’UA, j’ai l’impression que celle-ci a pris conscience de cette volonté de Pierre Nkurunziza d’instrumentaliser le dossier Ndadaye. C’est un signe que ces mandats ne seront pas exécutés par la communauté internationale et les pays de l’UA. » Mais il nuance tout de même, car : « l’UA n’a pas une mainmise totale sur toutes les relations entre NKURUNZIZA et certains chefs d’Etats, entre le Burundi et certains pays. »
Depuis son exil, l’homme qui a combattu face à Pierre Nkurunziza, jusqu’à perdre le bras sur le champ de bataille, souhaite bien sûr la justice soit faite et que les coupables dans le dossier Ndadaye et tous les autres crimes répondent de leurs actes. Léonidas Hatungimana veut la justice, mais pas une justice sélective. « Aujourd’hui il y a des crimes, des preuves existent, visibles, mais restent impunis ».
Pour rappel, le gouvernement du Burundi est dans le viseur de la CPI.
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Bio Express
Léonidas HATUNGIMANA est né en 1971 en province de Cankuzo. Après des humanités au petit séminaire de Mugera, il entame ses études universitaires mais la crise de 1993 éclate. Il prend le chemin de l’exil et rejoint en 1995 la rébellion naissante des Forces pour la Défense de la Démocratie, FDD. Il y gravit normalement les échelons jusqu’au grade de ‘’commandant’’ qu’il va perdre pour s’être opposé au changement qui amène finalement Pierre Nkurunziza aux rênes du CNDD-FDD.
Avec le pardon accordé par le nouveau patron du CNDD-FDD et suite à l’Accord de Cessez-le-feu de 2003, il est démobilisé sous le grade de Major et embrasse la carrière politique d’abord comme représentant de ce parti dans sa province natale, ensuite comme député élu de cette circonscription en 2005, avant enfin d’être le porte-parole du président de la République de février 2007 à mars 2015. Pendant ses fonctions, il suit les études du programme soir à l’Université du Lac Tanganyika .Il ressort avec une licence en Sociologie.
Opposé au 3eme mandat de Pierre Nkurunziza, il est traqué et prend le chemin d’exil. Il est aujourd’hui président du parti PPD-Girijambo fondé par les frondeurs du CNDD-DDD.