Le Réseau Africain pour la Paix, la Réconciliation et le Développement Durable connu sous l’appellation du Centre Gir’Ubuntu” (RAPRED GIR’UBUNTU) est devenu l’épaule sur laquelle pleurer pour les réfugiés burundais qui se trouvent à Kigali.
Par P-C.N
Pour échapper aux violences et l’instabilité politique qui a dégénéré en une tournure mortifère au Burundi depuis avril 2015, plusieurs centaines des milliers des personnes se sont exilés vers les pays voisins. Le Rwanda à lui seul compte plus de 68 mille réfugiés burundais dont la grande majorité vit au camp de Mahama. Certains de ces réfugiés sont confrontés au traumatisme psychologique suite à ce qu’ils ont vu et vécu pendant la crise au Burundi.
A Kigali, un centre d’écoute et d’aide a été ouvert, au centre vocationnel Christus, il accueille les réfugiés et leur donne une aide financière pour démarrer des microprojets.
Initié en juillet 2018, le centre Gir’ubuntu est l’œuvre de prêtres et de réfugiés burundais, dont des politologues enseignants dans les universités, des docteurs en médecine et des psychologues qui aident dans la réadaptation des refugiés traumatisés par les différentes violations des droits humains auxquelles ils ont fait face pendant la crise qui secoue le Burundi depuis 2015.
Selon l’abbé Innocent Rugaragu, responsable de ce centre, dans 6 mois d’activités 100 réfugiés burundais ont été accueillis. Il rappelle que les réfugiés connaissent plusieurs cas de traumatismes psychologiques :
“Nous avons recensé au moins trois formes de traumatismes : il y a ceux qui ont été traumatisés après avoir subi des actes de torture, de viol et de violation de la dignité humaine. Il y a ceux qui sont traumatisés par la vie de réfugiés qu’ils mènent : solitude, chômage…il y a également ceux qui sont traumatisés à cause de la pauvreté suite au changement brusque de leur train de vie (celle qu’ils menaient avant l’exil et celle qu’ils vivent dans leur pays d’accueil). »
Rugaragu ajoute qu’ils ont eu d’autres cas de traumatisme politique. Quand les réfugiés ne peuvent pas jouir de leur liberté de citoyen et participer dans la gestion de leur pays, des fois ils se découragent et se voient abandonnés par tout le monde et finissent par sombrer dans la dépression.
Un bon nombre de ces réfugiés ne trouvent même plus de sommeil. ” Il y a ceux qui nous disent que quand ils s’endorment ils font des cauchemars et se réveillent en se rappelant les actes de tortures dont ils ont été victimes. D’autres viennent passer leur temps dans la chapelle et affirment qu’ils se sentent mieux après avoir prié.”
Aider une personne souffrante de troubles psychologiques n’est pas du tout facile, selon Rugaragu. Il faut d’abord connaître l’origine de ce trouble et remonter dans le temps afin de comprendre ce qu’a vécu le patient avant d’en arriver aux troubles comportementaux.
“Le trauma ne vient pas du jour au lendemain. Pour le soigner il en est de même. On y va méthodiquement. Nous faisons recours aux psychologues et des professeurs d’universités politologues qui nous aident à comprendre ce qui se passe dans la sous-région et moi en tant que prêtre je contribue en ce qui est de la spiritualité. Par ailleurs, j’ai aussi suivi des formations en ce qui est de la résolution pacifique des conflits. Je leur rappelle que les conflits peuvent durer plusieurs jours voire des années, d’où ils doivent essayer de faire des activités génératrices de revenus visant leur autonomisation, pour qu’ils ne pensent uniquement à leur souffrance.»
Abbé Rugaragu fait savoir qu’à côté de l’aide spirituelle les réfugiés indigents bénéficient également de soutien matériel et d’une petite somme d’argent pour démarrer des microprojets afin de surmonter la vie en exil. On leur donne une somme de 300 mille francs rwandais. Certains optent pour la vente du charbon de bois, d’autres se lancent dans le commerce des chèvres, des vivres ou des habits.
Bien que ce centre soit mis en place essentiellement pour les réfugiés burundais, ceux venus de la RD Congo aussi et d’autres pays en bénéficient.
«Jusqu’à présent nous enregistrons plusieurs cas de burundais traumatisés venus des villes du Rwanda, notamment Muhanga, Gisenyi et Nyagatare », a dit Rugaragu, avant de préciser que le centre Gir’Ubuntu compte élargir son champs d’action jusque dans les camps des réfugiés. Il appelle d’autres bienfaiteurs pour la mise en place de tels centres pour venir en aide aux réfugiés en situation de traumatisme psychique.
« Nous seuls nous ne pouvons pas y arriver, car d’autres burundais continuent d’affluer vers des camps de réfugiés et dans les villes du Rwanda ».
Les bénéficiaires témoignent
Ceux qui sont aidés économiquement et psychologiquement par le centre Gir’Ubuntu se réjouissent des services reçus.
Ndayishimiye B. est une mère de trois enfants. Elle habite le centre de Nyamata, dans le district de Bugesera, province de l’Est du Rwanda. Elle a reçu aussi une enveloppe de 250.000 francs rwandais comme crédit pour démarrer un petit projet.
Avant d’être soutenue par le centre Gir’ubuntu, elle fait savoir qu’elle avait perdu le goût de la vie : «Vivre en exil et pouvoir nourrir mes trois enfants c’était devenu un casse-tête. Je ne me sentais pas comme les autres, je passais tout mon temps à l’écart des autres, pensant mon sort” dit-elle.
La vie a changé après avoir eu un micro-crédit, des formations sur l’entrepreneuriat ainsi que des séances d’écoutes dispensées par les psychologues de ce centre. «Je me suis sentie entourée et que je n’étais pas la seule à vivre cette vie. J’ai pu sortir de ma résidence pour aller faire du petit commerce au marché et rencontrer les autres. Je remarque une nette amélioration dans ma vie quotidienne et je n’ai plus la peur de mon lendemain” martèle-t-elle.
Son amie Ningenza L. affirme elle aussi avoir eu la même vie de solitude et d’incertitude semblable à celle de Ndayishimiye B. Elle tient un petit commerce de chèvres. “Le trajet que je fais pour aller dans les montagnes pour m’approvisionner en chèvres est aussi une sorte d’école : Quand on n’a pas à faire, des fois on peut même passer des nuits blanches surtout nous (réfugiés), qui avions une vie plus ou moins décente, du travail et un salaire quand nous étions au Burundi.”
Quand on marche pendant des heures, c’est aussi une forme de thérapie, lorsque tu croises des gens qui te parlent et qui te sourient, précise-t-elle. “Avec le soutien de Gir’ubuntu, je parviens à acheter de quoi nourrir mes quatre enfants, payer leurs frais scolaires et le loyer alors qu’avant je n’avais presque rien, même du sucre je devais quémander aux autres” se rappelle Ningenza avant d’ajouter que sa famille ne mangeait qu’une seule fois par jour.
Les maris de ces deux femmes sont portés disparus depuis 2015, ce qui leur revient en tête presque tout le temps. Mais avec le centre Gir’Ubuntu, elles affirment que “le moral est revenu un peu”.