Par Millicent Zighe
Depuis le début de l’année, au moins 77 personnes ont été violemment tuées dans diverses zones de la capitale burundaise.
Les observateurs des droits de l’homme ont documenté des meurtres hebdomadaires dans la banlieue du bastion de l’opposition à Bujumbura, qu’ils attribuent à la police ou à la milice alliée au gouvernement. Rien qu’à la mi-février, sept personnes non identifiées ont été exécutées, leurs corps attachés et jetés dans la rivière Rusizi et le lac Rweru. Au cours de la première quinzaine d’avril, cette année, 20 personnes auraient été tuées à divers endroits. Dix décès ont été enregistrés en mars; 21 en février; et 13 en janvier.
Les décès sont signalés anonymement par courrier électronique et SMS aux défenseurs des droits de l’homme, magistrats, administrateurs ou membres des services de sécurité auprès des défenseurs des droits de l’homme du Burundi sous la bannière SOS-Torture / Burundi, qui vérifient ensuite les informations.
Emmanuel Ndayishimiye était suspendu à la vie par un fil dans la rivière Ruvubu, sur les rives de la colline de Mirama. Il était porté disparu depuis le 18 mars 2019, lorsque ses proches ont été arrêtés par des agents des services de renseignements de l’État. Ndayishimiye, membre du Congrès national pour la liberté (CNL), parti d’opposition, avait disparu avec deux autres compagnons. Après son sauvetage et son hospitalisation à Gitega, il a été relâché mais a été repris par la police.
Des témoins ont rapporté avoir vu deux hommes se disputer dans la soirée du 24 mars 2019 sur la colline Sigu de Busoni, dans la province de Kirundo. Un membre de la milice redoutée Imbonarukre a ordonné à Aimable Ndayizeye de fermer son bistrot. Lorsqu’il a refusé, le membre de la milice a sorti son couteau et a poignardé Ndayizeye à la poitrine.
Sur la colline Karera de Shanga, dans la province de Rutana, des inconnus ont frappé à mort Mme Bayizere. La police dans la région de Musongati n’a pas identifié de suspects à ce jour. Il en est de même des dizaines de massacres dans les régions de Musaga, Mutakura, Cibitoke, Nyakabiga et Jabe, qui ont été le théâtre des manifestations les plus virulentes contre la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat.
La police et les agents de sécurité ont souvent fait des expéditions dans la région sous prétexte de poursuivre les rebelles qui seraient venus attaquer des camps militaires à la périphérie de la capitale.
Les tueries ne sont pas une nouveauté au Burundi. En novembre 2018, la British Broadcasting Corporation (BBC) a produit et diffusé le documentaire «Inside Burundi’s Killing Machine», qui révèle des lieux de détention secrets pour la torture et le meurtre dans le pays. Selon le documentaire, plusieurs membres du parti d’oppositionCongrès national pour la liberté (CNL) auraient été torturés et assassinés par la police nationale.
Bien que le gouvernement burundais ait démenti les allégations de meurtre, de nombreux observateurs des droits de l’homme ont continué de documenter des atrocités de faible intensité.
SOS Torture / Burundi a souligné qu’au cours des derniers mois, la police a ordonné l’inhumation immédiate des corps retrouvés flottant sur les rivières et les lacs sans procéder à une autopsie ni même attendre qu’ils soient correctement identifiés.
Un corps enveloppé dans une moustiquaire a été retrouvé flottant dans la rivière Ruvubu. En avril 2019, le corps d’un jeune homme a également été découvert flottant dans la rivière Ruvyiyoronza. On soupçonne que la victime a été torturée car il y avait du sang dans les narines et des plaies sur tout le corps.
Un corps d’homme gravement décomposé a été retrouvé à Bambo Hill, dans la province de Cibitoke, en ??? 2019. La police a ordonné qu’il soit enterré sans enquêter sur la cause du décès. Quelques mois plus tard, le corps d’Arsene Ndabihawenimana, directeur du département de l’électricité de l’aéroport international de Bujumbura, a été retrouvé dans un caniveau. Il avait été étranglé.
Le conflit burundais n’a pas épargné les enfants: les corps de deux enfants âgés de 3 et 12 ans ont été retrouvés dans les communes de Mbuye et de Buvyuko en avril. La mère de l’enfant trois ans avait signalé sa disparition avant la découverte de son corps. Un jeune membre d’une milice a été tuée alors qu’ il jouait avec une grenade chez lui. Son père a été arrêté mais libéré sans inculpation. Un rapport des Nations Unies note que beaucoup d’enfants sont restés sans parents en raison de la guerre civile en cours.
En juillet et août 2014, une quarantaine de corps décomposés a été découverte à la frontière entre le Rwanda et le Burundi. Le procureur général du Burundi déclarera plus tard que les corps sont rwandais, mais le pays nie les accusations. Un climat de peur règne au Burundi alors même que le président Nkurunziza a maintes fois encouragé les réfugiés burundais à rentrer chez eux, affirmant qu’ils seraient en sécurité. De nombreux réfugiés burundais hésitent à rentrer à cause des horreurs qu’ils ont vécues. Plus de 400 000 personnes ont fui le Burundi et ont demandé l’asile en Ouganda et en Tanzanie, pays voisins.
Le Burundi a sombré dans une crise politique en avril 2015 après que le président Nkurunziza eut décidé de se présenter aux élections pour un troisième mandat, en dépit des dispositions expresses de l’accord de paix conclu à Arusha. Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime que la répression officielle a depuis été marquée par la mort, la torture, la détention, des disparitions et la fuite de quelque 400 000 réfugiés en exil.
Trois commissions d’enquête de haut niveau des Nations Unies ont appelé à une intervention internationale au Burundi et l’Union africaine a également mandaté une commission pour aider le pays à retrouver la paix et la démocratie.
Les juges de la Cour pénale internationale ont autorisé le procureur à ouvrir une enquête sur des allégations de crimes contre l’humanité au Burundi en 2017 – un jour avant que le retrait du pays du Statut de Rome ne devienne effectif.
La justice demeure un rêve lointain pour des millions de Burundais après que le Burundi a quitté la Cour pénale internationale (CPI) en octobre 2017. Le retrait du Burundi de la CPI laisse encore une marge à la cour pour exercer sa compétence pour les crimes commis de décembre 2004 au 26 octobre 2017.