Par Landry Niyonzima
Presque chaque jour, des corps sont découverts dans les rues ou les rivières du pays. Dans la plupart des cas, ils ne sont pas identifiés, et les autorités ne font rien pour découvrir de qui il s’agit. Les autorités locales s’empressent de les enterrer en dehors de toute dignité et sans cérémonie, ce qui complique les choses lorsqu’il s’agit de savoir si des crimes ont été commis, et qui pourraient en être les auteurs.
Pacifique Nininahazwe, un activiste de la société civile qui dirige la campagne Ndondeza, note, désabusé, que beaucoup d’autres personnes au Burundi sont confrontées à un destin bien pire que de mourir et de ne pas être identifiées : elles disparaissent tout bonnement.La campagne Ndondeza (« aide-moi à retrouver le mien ») documente les cas de disparitions forcées, publie ses données et les communique aux institutions pertinentes.Rien que l’année dernière, Ndondeza a enquêté sur 28 cas de disparitions forcées, une moyenne de deux par mois. Plusieurs cas de disparitions forcées ont été enregistrés dans deux des 18 provinces du Burundi.
Trois ans après le début d’une crise politique meurtrière au Burundi, on estime qu’au moins 1 000 personnes ont été tuées, quelques 400 000 autres jetées sur les routes de l’exil, alors qu’un nombre incertain de personnes ont disparu sans laisser de trace.
Lancée en avril 2016, la campagne #Ndondeza a déjà documenté 107 cas de disparitions forcées. « Lorsque nous parlons de 107 cas documentés, cela ne signifie pas que depuis lors il n’y a eu que 107 cas de disparitions forcées. Non. Il s’agit uniquement des cas sur lesquels nous avons enquêté et au sujet desquels nous avons publié des résultats, accessibles sur le site www.ndondeza.org », explique Pacifique Nininahazwe.« Nous publions des informations sur une affaire une fois que nous avons récolté tous les éléments disponibles, que ce soit des informations provenant des membres de la famille proche qui permettent l’identification, des indications sur la date à laquelle ils ont noté la disparition… Puis nous étudions tous les éléments parus dans la presse. Nous avons des « sources internes » parfois des informateurs au sein de la police nationale ou du Service national de renseignement, ou des témoins anonymes qui nous écrivent, qui nous disent : oui nous connaissons cette histoire, nous en avons été témoins, nous étions sur place, nous savons ce qui s’est vraiment passé ».La campagne Ndondeza a été alertée sur environ 300 cas, sur lesquels elle continue à enquêter. « Parmi les 107 cas que nous avons déjà documentés, la majorité des victimes sont des activistes de partis d’opposition, pour la plupart membres du Mouvement pour la Solidarité et la démocratie (MSD) dirigé par Alexis Sinduhije, et des activistes des Forces nationales de Libération d’Agathon Rwasa (FNL) ».On compte également d’anciens membres de l’armée (les ex-Forces armées burundaises), majoritairement tutsis, et quelques militaires ayant été rattachés aux Forces nationales de libération (FNL). Certains anciens des Forces de Défense de la démocratie (FDD) et miliciens Imbonerakure font également partie des disparus, après avoir refusé de commettre des crimes.Nombre de ceux qui ont disparu sont des témoins potentiels des crimes qui ont été commis ou considérés proches de l’opposition, ainsi que des dissidents du parti au pouvoir CNDD-FDD (Conseil national pour la Défense de la Démocratie – Forces de Défense de la Démocratie).Tout est fait pour dissimuler les crimes actuellement commis au Burundi et empêcher qu’ils soient connus, explique le chef de Ndondeza. Selon lui, « il est fait en sorte qu’il ne soit pas possible d’identifier les auteurs de disparitions forcées. Que les crimes ne soient pas connus ».Une fois qu’un corps est retrouvé, Ndondeza n’en parle pas comme d’une disparition forcée mais plutôt comme d’une exécution extra-judiciaire. « Dans la plupart des cas, les corps ont été enterrés à la hâte, sans la moindre mesure sanitaire ou sans examen par un légiste. Il n’y a pas de déclaration officielle qu’un corps a été retrouvé, donnant des détails qui permettraient que les familles dont un proche a disparu puisse vérifier s’il s’agit de la personne recherchée », regrette Pacifique.Dans certaines situations, les alertes sur les réseaux sociaux ont sauvé des vies. « Lorsque les gens sont arrêtés ou kidnappés et que nous lançons des alertes le plus vite possible, il est arrivé que nous puissions les retrouver ».Les victimes ayant disparu et réapparu ont indiqué qu’elles avaient été conduites dans des endroits sombres, ne sachant pas où elles étaient, mais après la publication de ces alertes par exemple sur Twitter ou Facebook, les kidnappeurs ayant réalisé qu’ils avaient été démasqués, avaient fini par relâcher leurs otages.Dans la plupart des cas, l’auteur d’une disparition forcée est plus ou moins connu. Mais il existe aussi de nombreux cas où les auteurs n’ont pas été identifiés. Il arrive que des policiers ou des agents des services de renseignement utilisent des pickups officiels connus pour leurs vitres teintées. « En pareil cas, nous pensons qu’il s’agit d’une opération menée par le renseignement, mais nous ne connaissons pas l’auteur de l’enlèvement. Dans la plupart des cas nous finissons par identifier le kidnappeur ou le commanditaire du kidnapping ou de l’arrestation », explique-t-il.
Entre 2015 et 2016, au plus haut de la crise au Burundi, de nombreuses victimes ont été arrêtées devant leurs familles, leurs amis, leurs collègues activistes. Les gens étaient arrêtés chez eux ou lors de manifestations dans l’espace public, devant témoins.
En 2018, dans de nombreux cas, les victimes ont été appelées pour une réunion dans un bâtiment éloigné, un endroit où il n’y avait pas de témoins. « Nous connaissons juste l’identité de la personne qui a appelé, mais nous ne savons pas ce qui s’est passé ensuite. Nous savons que la personne a répondu à l’appel, et ensuite, on ne retrouve plus sa trace », explique Pacifique.Pour les disparitions forcées, Ndondeza pointe du doigt le Service national du renseignement (SNR), contrôlé par la présidence, la police nationale, le bureau du renseignement de l’armée, et la milice Imbonerakure qui coopère avec certaines autorités locales. « Nous avons également noté que le SNR, la police burundaise, et les autorités burundaises ont ordonné aux opérateurs téléphoniques de ne plus donner accès aux registres téléphoniques des victimes ». Les opérateurs sont souvent réticents à fournir les registres téléphoniques d’une victime de disparition forcée, alors qu’il s’agissait d’une pratique courante dans les années 2015, 2016 et 2017.Dans tous les cas documentés par la campagne Ndondeza, les corps n’ont jamais été retrouvés. « C’est pour cela que nous continuons, aux côtés des proches et des familles de victimes à exiger des autorités burundaises la vérité sur ce qui est arrivé aux personnes arrêtées ou kidnappées par le SNR ».