Par Kwamchetsi Makokha et Susan Kendi
Le Burundi a expulsé du pays l’agence de l’ONU chargée de porter les violations des droits de l’homme à l’attention du monde entier, ce qui pourrait sérieusement entraver les enquêtes sur de prétendus crimes contre l’humanité.
Le gouvernement avait demandé au Haut-Commissariat aux droits de l’homme de fermer ses portes en décembre 2018. Des négociations en vue d’un réexamen de la décision se sont soldées par un échec après le prononcé de l’ordonnance de fermeture, le 4 mars 2019.
Le bureau des Nations Unies a fourni une couverture politique à l’Enquête indépendante des Nations Unies au Burundi (UNIIB), créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, qui recueille des informations et documente les violations des droits de l’homme commises dans le pays depuis avril 2015. UNIIB a établi que les violations constatées au Burundi justifient une enquête de la Cour pénale internationale (CPI).
Le 30 septembre 2016, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a mis en place une commission d’enquête sur le Burundi chargée d’enquêter sur les violations et les exactions commises depuis 2015.
Chaque année, depuis sa création, les Nations Unies ont renouvelé le mandat de la commission, tout en recevant de nouveaux rapports sur la détérioration de la situation des droits de l’homme au Burundi. Le bureau des Nations Unies au Burundi était le point focal des enquêtes, même si les membres de la commission d’enquête n’ont pas été en mesure de mener des enquêtes dans le pays, invoquant des craintes pour la sécurité.
Dans son dernier rapport, l’ONU conclut que les violations des droits de l’homme constatées au cours des premières années du mandat de la commission ont persisté en 2017 et 2018 et que les auteurs de ces crimes opéraient toujours dans un climat d’impunité. La police et les services de renseignement nationaux étaient les entités les plus impliquées dans la violation des droits de l’homme, mais la milice progouvernementale Imbonerakure jouait un rôle de plus en plus important dans la mesure où des campagnes de recrutement parmi le grand public étaient utilisées pour réprimer toute opposition.
Sur son site web, l’organisation de la société civile Acat-Burundi a annoncé dans une déclaration qu’elle déplorait la fermeture du bureau de l’ONU, tout en louant le travail et l’esprit de collaboration du bureau au cours des 23 dernières années.
«Il est important de rappeler que ce bureau a été bénéfique dans la surveillance des violations des droits de l’homme, la production de rapports sur l’état des droits, le plaidoyer et le renforcement des capacités de différents acteurs, y compris des représentants du gouvernement», a ajouté Acat-Burundi.
La violence qui caractérise la crise politique au Burundi depuis que Pierre Nkurunziza a décidé de briguer un troisième mandat à la présidence en 2015 a déjà fait plus de 2 000 victimes, environ 7 000 personnes arrêtées et 400 000 réfugiés exilés alors même que l’espace de la liberté d’expression est de plus en plus restraint.
Le gouvernement burundais avait accusé l’agence de l’ONU et d’autres organisations d’être «des ennemis du pays et de ternir l’image du Burundi».
Les activités du bureau des Nations Unies s’étaient ralenties depuis octobre 2016 après la suspension de la collaboration officielle avec le gouvernement. C’est également à cette période que le Burundi a décidé de se retirer du Statut de Rome. La répression exercée par le gouvernement sur les organisations de la société civile actives dans la dénonciation des violations des droits humains a contraint leurs dirigeants à s’exiler et à obliger d’autres à travailler dans la clandestinité pour faire face aux menaces auxquelles ils sont confrontés.
Depuis 2015, la violence s’est intensifiée, devenant chaque année de plus en plus systématique mais difficile à retracer. Les mécanismes de responsabilisation sont faibles, permettant ainsi aux cycles de violence de se poursuivre.
L’ONU avait précédemment recommandé aux autorités de prendre des mesures pour améliorer la situation des droits humains, notamment en libérant des prisonniers politiques, en réexaminant la décision de se retirer du Statut de Rome et en coopérant pleinement avec la CPI, en levant la suspension et la revocation d’autorisations accordées aux médias et la société civile, le retrait des mandats d’arrêt à l’encontre des responsables de médias, d’organisations de la société civile et des partis politiques, et leur permettre de retourner au Burundi et de permettre au Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de reprendre sa documentation sur les violations commises au Burundi, de signer et de mettre en œuvre le mémorandum d’accord avec l’UA pour permettre le déploiement complet de 100 observateurs des droits de l’homme et de 100 experts militaires, comme décidé en 2016.
L’ONU souhaitait également que le gouvernement mette immédiatement un terme aux violations flagrantes des droits humains et, avec l’aide de la communauté internationale, mette en place des mécanismes ad hoc pour enquêter sur les violations des droits humains et poursuivre les auteurs de crimes internationaux sur lesquels la CPI n’enquête pas, tout en un organe indépendant chargé d’enquêter sur les cas de disparition signalés depuis avril 2015, de localiser les fosses communes potentielles, d’exhumer et d’identifier les restes humains.
Au cours des trois dernières années, la Commission a également demandé instamment que ses recommandations soient envoyées au Conseil de sécurité des Nations Unies. Il a demandé au Conseil de sécurité des Nations unies de prendre en compte ses conclusions et de renvoyer à la CPI les crimes internationaux éventuellement commis au Burundi après le 27 octobre 2017.
Il a été recommandé aux Etats membres de l’ONU de maintenir les sanctions individuelles et la suspension de l’aide directe au gouvernement en cas d’amélioration, de poursuivre en justice les auteurs présumés de crimes internationaux commis au Burundi et relevant de la compétence universelle, de fournir une assistance technique permettant les autorités burundaises à mener des enquêtes crédibles et indépendantes.
L’Union africaine et l’ONU ont été instamment priées d’éliminer progressivement l’utilisation des troupes burundaises dans les opérations de maintien de la paix pendant que la crise se poursuit. L’UA a été exhortée à prendre l’initiative de trouver une solution durable à la crise burundaise et à veiller à ce que les auteurs de violences politiques ne participent pas aux missions de maintien de la paix de l’UA.